C’est une autre loi dont nous avons besoin

JL Fournel, Tribune parue dans Le Monde du 25 avril 2013
lundi 29 avril 2013
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C’est un étrange projet de loi que Mme Fioraso a présenté en conseil des ministres, mercredi 20 mars, où les mots de la loi disent exactement le contraire de ce qui est annoncé par la ministre. Officiellement, ce projet serait le fruit d’une longue concertation avec tous les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, menée de juillet à décembre 2012. Il corrigerait les atteintes à la démocratie introduites par la loi Libertés et responsabilités des universités (LRU ) dans le gouvernement des universités. Il en finirait avec les incantations sur la "politique d’excellence" et rendrait possible une distribution plus équitable des pôles universitaires sur le territoire national. Enfin, il serait attentif à la "réussite" des étudiants et lutterait contre les décrochages dans les premiers cycles.

Or, sous l’apparence d’un texte de rupture avec la politique du précédent gouvernement, il n’est pas bien difficile de voir que la LRU 2.0, comme on la surnomme déjà dans les universités, prolonge et approfondit même les logiques les plus contestables de la précédente réforme. Quoi d’étonnant d’ailleurs à cela quand on sait qu’elle a été largement concoctée par un cabinet ministériel comprenant plusieurs anciens présidents d’université ayant soutenu et mis en place avec enthousiasme la précédente loi en 2007 ?

Il est vrai que de juillet à décembre 2012, dans le cadre des assises, ont été auditionnés des centaines d’acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche ; mais ce qu’ils pouvaient dire ou ne pas dire n’avait strictement aucun intérêt pour la ministre puisque, de toute façon, les décisions étaient arrêtées à l’avance. Cette consultation n’a servi qu’à la mise en scène d’un rapport de synthèse final, d’ailleurs peu utilisé par la suite. Sur deux points clés (le vote des personnalités extérieures pour l’élection des présidents et la constitution d’une nouvelle structure lourde – le conseil académique – en lieu et place des anciens conseils centraux dédiés à la recherche et à la vie universitaire) ce ne sont pas les avis des assises qui ont été écoutés mais bien ceux du conseiller présidentiel pour les universités, M. Mérindol, et du très anonyme think tank Marc Bloch.

La double question prise en exemple peut sembler technique mais ne l’est pas : faire voter les personnalités extérieures et créer un grand conseil nouveau revient à diluer la représentation des personnels dans les institutions. Une majorité présidentielle peut ainsi se réduire à l’alliance d’une dizaine d’enseignants-chercheurs, de la technostructure administrative (née dans chaque université de la loi LRU) et des représentants du "monde socio-économique", ceux au bénéfice desquels la nouvelle loi organise d’ailleurs rien de moins qu’une nouvelle "mission" de l’université : le transfert systématique des résultats de la recherche publique vers les entreprises.

Contrairement à ce que d’aucuns se plaisent à ressasser, il existe déjà des relations étroites entre les universités et le tissu économique des territoires et nul ne songe à les remettre en cause. L’enjeu est ailleurs : pour maintenir une recherche libre, capable par exemple de développer une pensée critique sur les évolutions technologiques, si rentables soient-elles, les universités ne doivent pas dépendre des stratégies du monde économique avec lequel elles collaborent.

La démocratisation des instances n’est pas davantage à l’ordre du jour puisque les pouvoirs du Conseil d’administration et du président restent en gros les mêmes (à l’exception de la création d’une procédure complexe de destitution). Surtout, le maintien de la dévolution de la masse salariale (l’attribution aux établissements du paiement des salaires) induit mécaniquement une forme de gestion technocratique et souvent autoritaire. Dans un budget contraint dont elle représente plus des deux tiers, la masse salariale est la principale variable d’ajustement ; toutes les universités en font aujourd’hui l’expérience.

La loi LRU avait été critiquée, y compris par l’opposition d’alors, parce qu’elle organisait une concurrence effrénée entre les universités, entre les laboratoires, entre les territoires, favorisant l’émergence d’un nombre très réduit de pôles (une douzaine) dans lesquels il convenait de concentrer les moyens. Il est vrai que, sur ce point, les discours de la ministre ont introduit une inflexion et que l’on a abondamment critiqué, y compris dans le rapport final des assises, les illusions de la "vision essentialiste de l’excellence scientifique" et le millefeuille institutionnel empilant les nouvelles structures les unes sur les autres. Mais qu’en est-il sur ce point précis de la nouvelle loi ? Sa principale proposition à cet égard est la création de "communautés" (d’universités ou scientifiques, on hésite encore sur le qualificatif) rassemblant plusieurs universités ou établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche, selon une logique de site.

À quoi cela aboutira-t-il, sinon à creuser un peu plus le fossé qui sépare les instances de décision, d’une part, et, de l’autre, les universitaires, les personnels et les étudiants ? Ce que ces "communautés" mettent en place, c’est une gestion encore plus resserrée et bureaucratique que celle des anciens Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES). Les conseils chargés de la gestion de ces "communautés" seront encore moins représentatifs que les conseils actuels : ils pourront être composés majoritairement de membres nommés ou de membres ès qualité. Enfin, et surtout, ces nouvelles "communautés" concentreront tous les pouvoirs réels puisque c’est à ce seul niveau que s’effectuera l’essentiel de la "contractualisation" entre l’État et les établissements du site : les décisions stratégiques, les attributions de moyens et leur répartition entre les composantes se feront au niveau des communautés, loin des étudiants et des enseignants-chercheurs, tandis que la vie de chaque université sera réglée à un autre niveau, "inférieur", où ne sera possible que l’application de directives et de procédures administratives émanant d’en haut. Là aussi le résultat sera non seulement un recul de la vie démocratique des universités, mais une bureaucratisation chronophage de toutes les pratiques quotidiennes de l’enseignement supérieur et de la recherche, à leur détriment. La réussite des étudiants, bien sûr !

Enfin, la loi Fioraso fait semblant de mettre la "réussite des étudiants" au centre de ses objectifs. Certes quelques propositions d’amélioration bienvenues sont avancées pour laisser de la place aux titulaires de Bac professionnels et technologiques dans les sections de techniciens supérieurs STS et dans les IUT, et on ne mégotera pas sur ce point. Mais l’essentiel n’est pas là : confondant l’amélioration de la qualité de la formation (à laquelle nous aspirons tous) avec la délivrance systématique de diplômes à une classe d’âge, la loi entreprend de rassurer parents et étudiants (qui sont autant d’électeurs) en posant une exigence de "continuité" entre lycées et premiers cycles universitaires, c’est-à-dire en transformant le premier cycle universitaire en un grand lycée dans lequel régnera une pluridisciplinarité sans approfondissement disciplinaire, un accompagnement des étudiants sans moyens, un enseignement sans dimension critique et, cerise sur le gâteau, la compensation entre toutes les notes. Qu’en est-il dans tout cela du contenu des cours ? Qu’en est-il des moyens nécessaires – au bénéfice des universités comme des étudiants – pour rendre possibles les licences à 1500h par an ? Qu’en est-il de ce qui fonde toujours le statut de l’université, à savoir la place du rapport à la recherche dans l’enseignement ? Sur tout cela rien n’est dit, ou si peu. En tout cas ce n’est pas ainsi que les universités contribueront à une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur et de la recherche et à "l’élévation du niveau scientifique, culturel et professionnel de la nation et des individus qui la composent", ainsi qu’"à la réduction des inégalités sociales ou culturelles et à la réalisation de l’égalité entre les hommes et les femmes en assurant à toutes celles et à tous ceux qui en ont la volonté et la capacité l’accès aux formes les plus élevées de la culture et de la recherche", pour reprendre la magnifique formulation du Code de l’Éducation (Article L. 123-2).

Les pires des institutions sont celles qui restent mauvaises quelle que soit la qualité des hommes et des femmes qui gouvernent ; les meilleures sont celles qui restent supportables même quand les gouvernants sont mal choisis. Nous sommes ici indéniablement dans le premier cas de figure. Alors disons-le sans détour : si l’on veut que les vraies universités, celles où demeurera une activité de recherche, commencent au niveau des masters (avec, très vite, sélection à l’entrée et hausse des frais d’inscription à l’avenant) et que les premiers cycles relèvent de ce que l’on nommera pudiquement des "universités d’enseignement" (les teaching universities à l’américaine), alors approuvons sans réserve la loi Fioraso ! Si l’on veut que les licences délivrées par les universités soient à brève échéance considérées comme des ersatz de diplômes et que leurs titulaires en fassent les frais, alors approuvons derechef la loi Fioraso ! Si ce n’est pas le cas, alors disons clairement que cette loi aggrave la loi LRU, qu’elle va même plus loin que le précédent gouvernement avait jamais rêvé d’aller, et qu’il faut donc de toute urgence ouvrir de vraies négociations pour une tout autre loi.