Carte scolaire : risque de concurrence sous couvert de mixité scolaire

mardi 17 novembre 2015
par  BEPC
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Notre ministre a présenté ce lundi 9 novembre « la démarche engagée pour renforcer la mixité sociale dans les collèges ». (le lien ci dessus)

Il s’agit d’une « démarche » et non, précise-t-elle, d’une « énième réforme de la carte scolaire ». Et de fait, il ne s’agit pas d’assouplir ou de rigidifier la carte scolaire mais de déléguer tout bonnement cette tâche aux « acteurs locaux », en l’occurrence aux départements, puisqu’il s’agit des collèges.

Comment ?

Le département détermine les contours de secteurs multicollèges comme le permet la loi de refondation de 2013 en concertation avec élus locaux, chefs d’établissements, enseignants, parents d’élèves, associations partenaires de l’École. On met donc en place un secteur commun à plusieurs collèges. Les élèves du secteur ont le droit d’être affectés dans un des établissements. Pour cela, les familles formulent des vœux classés par ordre de préférence. En dehors des élèves souffrant d’un handicap et des élèves bénéficiant d’une prise en charge médicale à proximité de l’établissement, qui seront prioritaires, « la règlementation laisse pleine liberté aux acteurs pour déterminer les critères d’affectation » dans le cas où tous les premiers vœux ne seraient pas satisfaits. Plus de cadre national donc, les critères seront déterminés localement, des idées sont données (élèves boursiers ou susceptibles de l’être, distance domicile / établissement, choix pédagogiques (carte des langues, classes à horaires aménagés, etc.), continuité de cycle 3 entre écoles et collèges, maintien des liens amicaux entre élèves, etc.), mais, là encore,"la règlementation laisse pleine liberté aux acteurs".

« La singularité de cette démarche repose sur une logique de construction à partir des acteurs et des besoins des territoires, le ministère se positionnant en impulsion et en appui de l’initiative locale. ».

On imagine que bien d’autres "critères" pourront s’immiscer au sein de ces concertations (électoralistes par exemple)

Le résultat : une concurrence affichée entre établissements que permet .... la réforme du collège, ça tombe bien tiens !

On se doute aussi évidemment du résultat, les établissements les plus « réputés », autrement dit ceux où la ségrégation sociale et scolaire est la moins forte, seront choisis en priorité par les familles.

Mais pas de panique, la réforme du collège va remédier à cet écueil. Elle va permettre à chaque collège ghetto de redorer son blason nous dit clairement notre ministre (dans la vidéo mise en ligne sur le site du ministère) :

http://www.education.gouv.fr/cid95191/renforcer-la-mixite-sociale-dans-les-colleges.html

Il faudra « travailler sur l’offre pédagogique des établissements puisque ce qui fait qu’un établissement qui souffre de ségrégation sociale pourra attirer davantage une population plus mixte et plus équilibrée c’est qu’il ait à offrir quelque chose que les autres établissements n’offrent pas donc une spécificité, une originalité, un sujet pédagogique sur un sujet ou sur un autre qui fasse sa différence et la réforme du collège aide à cela puisqu’elle donne plus de marges de manœuvre aux collèges pour adopter des projets qui leur soient propres avec les EPI, avec la marge horaire qu’on leur donne qui est plus importante, c’est à dire des moyens plus importants pour mettre en place des projets qui feront l’identité du collège le rendront plus attractif et attireront d’autres familles que celles qu’il attirait jusqu’à présent ».

La concurrence entre établissements est donc désormais clairement institutionnalisée. Alors, vite, au boulot !

Il y aurait bien d’autres choses à dire sur cette "démarche" : par exemple son caractère "républicain", dans l’air du temps, et la non remise en question des inégalités sociales à l’origine de cette "ségrégation sociale et scolaire" si souvent mentionnée dans le texte de présentation.

Et à ce propos, une perle : Catherine Moisan, directrice de la DEPP (Direction de l’Evaluation, de la Prospective et de la Performance), citée par Le Figaro qui dit : "On n’a pas d’indication de l’impact (d’un mélange, NDLR) pour les élèves favorisés. Ce n’est pas clair. Mais les élèves de milieux favorisés, ça va leur ouvrir des perspectives. On va leur montrer qu’ils appartiennent à une société multiforme qui a changé, développer leur empathie ! »

"Inégalitaire" c’est pas beau, on dira désormais : "multiforme"... et puis c’est chouette puisque grâce aux inégalités, on apprend l’empathie à nos élèves !