Les tas de droits - en mille morceaux

lundi 11 juin 2018
par  ex2003
popularité : 18%

Matin pluvieux au collège Versailles, dans le troisième arrondissement. Je suis arrivé plus tôt que prévu. J’attends dehors, un peu trempé. La sonnerie retentit. Je regarde les enfants présenter leurs carnets, à l’entrée, en même temps qu’ils mettent les pieds dans la flaque d’eau qui fait obstacle devant le portail qui vient de s’ouvrir.

Aujourd’hui, les collègues ont, à l’arraché, obtenu que le recteur vienne sur place se rendre compte de leurs difficultés. Difficultés ordinaires, liées au « management » ordinaire que l’on apprend aux cadres de l’administration dite moderne : culpabiliser, cajoler, humilier les personnels – tout sauf des réponses professionnelles à des situations professionnelles. Difficultés extraordinaires, liées à la singularité de l’établissement : construit sur un sol pollué – une ancienne savonnerie marseillaise, coincé entre une déchetterie d’un côté et une autoroute de l’autre, et encore là, quand on croit regarder vers la mer, une barre d’immeuble louée par des marchands de sommeil depuis des décennies.

Prévu pour 400 élèves, le bahut en compte plus de 520 aujourd’hui.
Des algecos qui empiètent sur la petite cour ont conduit les collègues à faire cet amer calcul : à peine plus de 2m2 par élève – c’est moins que dans la pénitentiaire ; c’est moins aussi que pour un élevage de poulets bio ! Insalubrité, vétusté, abandon, surpopulation : quinze ans que le conseil départemental promet une rénovation.
Quinze rentrées que tout ira mieux à la rentrée prochaine… « L’État de droit », les « valeurs de la République »… qu’est-ce qu’on nous la sert, cette rengaine. Tous les jours.

Dans les médias, à l’école, par courriels à la pelle. L’État de droit, c’est celui qui aime bien montrer ses muscles : 2 500 robocops à Notre-Dame-des-Landes pour expulser 250 paysanNEs qui veulent planter des carottes et inventer une autre manière de vivre, et même de produire.

On attend autant de diligence dans les quartiers pauvres, pour expulser les marchands de sommeil et les spéculateurs avides, fonds de pension et autres premiers de cordée qui font leur graisse de la misère des autres. Il paraît qu’on fait de la rénovation urbaine par là, non loin : ça s’appelle Euroméditerranée. Ça sonne bien. C’est censé être chic et faire du fric.
D’ailleurs, là, il y a plein d’argent public à prendre, pour les promoteurs. Quartier le plus pauvre de France, ou quartier de la spéculation et des marchands de sommeil ? Des mètres carrés impossibles à trouver pour une école ou un collège de quartier, mais des mètres pourtant vides, et par milliers, dans le coin.

Chiche, on envoie la « puissance publique » pour fabriquer dans l’urgence le collège neuf, sûr, et sain, que l’on a promis aux minots du 3ème arrondissement de Marseille : on réquisitionne, on réhabilite, on nettoie. On donne enfin aux enfants l’école qui leur revient de droit. Et tous les tas de droits dont on les spolie depuis longtemps : un air propre, une alimentation saine, des bibliothèques de quartier, des terrains de sport, et un hôpital aussi.

Mais l’État de droit, ici, ça fait longtemps qu’il a volé. Loin. Par millions d’euros. En mille morceaux. Zones à défendre, qu’on vous dit.