DISCRIMINATIONS / Séparer pour mieux régner

L’école de la lutte #2 - Extrait du journal de SUD éducation 13
lundi 8 mars 2021
par  GUERDA
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Vendredi 16 octobre, notre collègue Samuel Paty, enseignant d’histoire géographie au collège du Bois d’Aulne a été sauvagement assasiné après avoir discuté de la liberté d’expression avec ses élèves, se servant de documents satiriques.

Après le choc et l’effroi, des rassemblements ont eu lieu dimanche 18 dans toute la France. Ces rassemblements étaient en grande partie constitués de personnels de l’Education Nationale mais force est de constater que de nombreuses personnalités médiatiques et responsables politiques se sont autorisé.e.s à détourner ces moments d’hommage et de recueillement pour stigmatiser une nouvelle fois les musulman.e.s et orienter le débat autour du projet de loi contre les séparatismes religieux.

Le 2 octobre 2020, Emmanuel Macron s’est exprimé sur le projet de loi du 9 décembre 2020 sur le thème de la lutte contre les séparatismes. Le discours a eu lieu dans les Yvelines (78), département qualifié par le Président de « terre de contraste qui a su par l’Ecole affronter ses défis » alors que c’est dans ce même département que Samuel Paty a été sauvagement assassiné quelques jours plus tard. Il est donc tout naturellement évident de se demander si oui ou non, l’Ecole a su et sait affronter les défis qui lui sont lancés et ce particulièrement dans les quartiers dits populaires ?

Lors de son discours, Emmanuel Macron reconnait que l’Etat a laissé la ghettoïsation se faire, allant même jusqu’à affirmer qu’il y a construit une « politique de la misère et des difficultés » et que ces difficultés éducatives et économiques ont été concentrées dans certains quartiers. Par conséquent, Macron va même jusqu’à dire que « nous avons nous mêmes construit notre propre séparatisme ». Il établit donc un lien entre ghettoïsation et séparatisme islamiste. Cela lui permet facilement de faire le jeu de l’extrême droite, d’entériner un amalgame islamophobe et raciste dans un climat fasciste grandissant et d’éviter ainsi de s’attaquer au véritable problème : l’abandon de plus en plus violemment visible de l’Etat envers les quartiers pauvres.

Ce constat, nous, personnel de l’éducation, l’avons partagé et ce encore plus particulièrement en éducation prioritaire. Nous avons compris que nos élèves avaient des besoins supplémentaires et que cela était dû au determinisme social. Nous nous sommes donc à de nombreuses reprises mobilisé.e.s. Nous avons lutté contre la suppression des lycées ZEP, nous avons déploré la diminution de la DHG dans nos établissements, nous nous sommes indigné.e.s à propos des établissements insalubres mis à disposition par l’Etat dans les quartiers les plus pauvres du pays. Nous avons pointé du doigt les suppressions graduelles de postes d’AED, d’AESH et d’enseignants. Nous avons été témoins de l’acharnement de l’Etat à supprimer le peu de moyens humains et financiers que nous avions pour tenter d’émanciper nos élèves par l’éducation et l’instruction, luttant ainsi contre un fatalisme social établi depuis des décénies. Nous avons voulu croire aux grands principes de liberté, d’égalité et de fraternité et nous nous sommes heurté.e.s à l’hypocrisie de la République et plus particulièrement à celle de l’Education Nationale dont l’objectif n’est pas de favoriser la mise en oeuvre de ses soi disant valeurs mais de laisser aller, jusqu’au pourrissement.
Quoi de plus méprisant que d’entendre, lors de son discours sur le reconfinement du 29 octobre, le Chef d’Etat nous dire que le premier confinement avait particulièrement touché les quartiers populaires alors que rien n’a été fait pour palier à cette fracture sociale ou même pire, que les populations les plus pauvres se sont appauvries sous son quinquénat ?

Quoi de plus irrespectueux que d’entendre J.M Blanquer baratiner dans tous les médias qu’un temps de concertation serait prévu dans chaque établissement le jour de la rentrée du 2 novembre afin que les enseignants puissent se retrouver, discuter et préparer l’hommage à Samuel Paty comme il se doit pour l’annuler déloyalement et loin de l’attention médiatique deux jours avant la reprise ?

Combien de temps allons nous tolérer que l’Etat fasse le jeu de l’extrême droite dans le but de se faire réélire ou de faire oublier les véritables enjeux de la crise sanitaire, créant ainsi un climat propice à la montée du fascisme ?

Pour nous, le constat est clair, l’Etat est doublement responsable ; il nous désarme tout en mettant de l’huile sur le feu pour ensuite nous envoyer au front, poitrine nue, gérer leur institution. Nous nous retrouvons ainsi, particulièrement dans les quartiers populaires, face à nos élèves stigmatisé.e.s, abandonné.e.s et méprisé.e.s par l’Etat au service de la majorité non racisée. A nous de devoir parer leur colère légitime et d’avoir comme mission de maintenir l’illusion de leurs grands principes républicains de liberté, égalité, fraternité pendant que que l’Etat oeuvre pour que tout chemine vers l’interdiction, la discrimination et la désunion.

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