COVID -19 / L’école masquée, nous voilà bien empêché-es

L’école de la lutte #2 - Extrait du journal de SUD éducation 13
lundi 8 mars 2021
par  GUERDA
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Depuis de nombreuses années, les enseignant-es du premier degré subissent des contre-réformes qui mettent à mal, au quotidien, notre façon de faire la classe, notre façon de travailler collectivement. En dix ans, la RGPP, les rythmes scolaires, la quasi-disparition des maitre-sses spécialisé-es (RASED), les réformes de formation et du recrutement des enseignant-es, celle de l’éducation prioritaire, les évaluations nationales, l’évaluation des enseignant-es (PPCR), l’école inclusive, l’école de la confiance version Blanquer, la disparition des aides à la direction d’école, la mise en place de Base Elèves, Affelnet, les PIAL… Et tout cela sans oublier la question corollaire des moyens qui imposent aux équipes de se battre en permanence. Etat des lieux de cette nouvelle école « masquée », au sens propre comme au sens figuré !

On aurait pu penser, naïvement, que le ministère anticiperait cette rentrée si particulière, mais non ! A la rentrée, on reprend, (presque) comme si de rien n’était ! Pas de prise en charge psychologique des élèves, des familles, des personnels qui en auraient besoin. Pas de moyens supplémentaires (enseignant-es RASED) pour prendre en charge les élèves les plus en difficulté pour qui ces dernières se sont accentuées avec la crise… mais par contre, les injonctions ubuesques persistent : maintenir les évaluations nationales CP coûte que coûte, ne faire que des mathématiques et du français durant la première période !

Chacun-e a pu faire le constat d’une communication institutionnelle chaotique : annonces dans les médias, nos hiérarchies sont à la traîne depuis le début de la crise Covid, derrière un ministre qui annonce de plateaux télé en radios ce que nous devons faire, nous, personnels !

Cela n’a pas été sans conséquences au sein même des équipes. Avec des contraintes fortes, anxiogènes compte-tenu de l’aspect sanitaire des choses, des protocoles irréalisables, des injonctions paradoxales, des interprétations aléatoires des textes… des équipes enseignantes ont littéralement implosé, aggravant les conditions de travail des un-es et des autres. Le travail quotidien a été fortement remis en cause, la désorganisation institutionnelle a engendré des conflits internes dont notre hiérarchie est responsable. Et pour cause, depuis des mois, ce ministère nous met dans une situation de responsabilités intenables, individuellement et collectivement !

Si le port du masque est malgré nous devenu une habitude dans nos vies quotidiennes depuis des mois, il n’en reste pas moins une difficulté dans le cadre de l’exercice de notre métier d’enseignant-e. Nous avons tous-tes constaté à quel point cet accessoire, devenu objet de protection obligatoire a mis à mal certains aspects essentiels de ce qui fait vivre une classe : la communication.En effet, celle-ci s’avère altérée entre adultes et enfants, le langage non verbal est devenu plus compliqué. Il faut parler plus fort, articuler davantage. En maternelle, le port du masque par les adultes a des conséquences pédagogiques non négligeables, par exemple en ce qui concerne le travail en phonologie. En élémentaire, le port du masque pour les élèves est parfois un défi à relever, source de conflits entre élèves. Certain-es peinent à conserver le masque plusieurs heures d’affilée et on les comprend ! L’habituation ambiante à cette école masquée, pour grand-es et petit-es nous inquiète en ce qu’elle semble modifier sur le long terme nos pratiques et nos manières de communiquer dans la classe.

Depuis la rentrée de septembre 2020, on ne compte plus les difficultés ajoutées par les aspects matériels non ou mal gérés, les défis logistiques imposés par l’Etat aux collectivités territoriales, parfois dans l’incapacité de faire face aux exigences sanitaires. Manques de moyens matériels et humains, c’est bien là que l’on constate l’abandon de l’Etat dans certains territoires au profit d’une décentralisation qui n’a fait, depuis tant d’années, que détruire les services publics ! Mais sur le terrain, au quotidien, nous constatons :

- Difficultés d’approvisionnement dans les écoles : pas/manque de gel, pas/manque de masques.
- Problème des locaux, pas forcément adaptés, notamment les salles des maitres-sses.
- Problème de désinfection des locaux (la photocopieuse par exemple nettoyée tous les 2/3 jours).
On le répète depuis des mois, les textes sont confus, contradictoires, interprétés différemment selon les personnes. Au fil des semaines, même si les « FAQ » du ministère apportent quelques informations, encore une fois, c’est bien quotidiennement, dans nos écoles, que nous constatons le cafouillage dans la gestion des personnes positives ou cas contacts. En effet, les délais sont trop longs. Les allers-retours prévus entre les différents acteurs institutionnels (circonscription, DSDEN, Rectorat, ARS, mairies, préfectures…) génèrent des prises de décisions tardives et parfois différenciées d’un territoire à un autre, qui peuvent avoir de lourdes conséquences sur la santé de nos élèves, des familles, des personnels. C’est inacceptable !

La première période de l’année scolaire, dans les Bouches du Rhône, a également été marquée par un taux de non remplacement des enseignant-es absent-es record ! Nous avons démarré l’année avec 60 postes vacants (non pourvus), ce qui ne laissait présager rien de bon compte-tenu de l’anticipation que nous pouvions faire sur l’évolution de l’épidémie au retour des congés d’été.

Et, même si cette situation est dénoncée depuis des années, nous en avons fait les frais durant de longues semaines, avec des « cas d’école » affligeants : plus de Brigades REP+, transformées en « brigades Covid » et pas de complément de temps partiel dans certains cas depuis la rentrée !

Les situations ubuesques que vivent les collègues ne manquent pas. C’est par exemple le cas avec les brassages obligatoires d’élèves à répartir dans les classes car il n’y a pas de remplaçant-es, ou le retour à des classes à 24 par les enseignant-es pour les CP et CE1 en REP+ par crainte des absences.

Depuis le mois de décembre, alors que nous demandions l’augmentation de la liste complémentaire du CRPE, la DSDEN a fait le choix de régler ce « problème » d’absences non remplacées par la précarité : des collègues contractuel-les sont actuellement embauché-es (jusqu’aux vacances de février 2021), quasi-non formé-es et palliant à un problème non pas conjoncturel mais bien structurel dans le département !

Soyons clair-es, l’école du Covid n’est pas celle que nous voulons, pour nous, nos élèves et leurs familles. Les conséquences pédagogiques sont graves : les projets collectifs inter-classes ou inter-écoles sont quasiment à l’arrêt, les moments festifs d’une école également, les sorties scolaires (sportives, culturelles) interdites, l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap est remise en cause, l’absentéisme des élèves rend difficile la construction du collectif de classe. C’est un véritable et grave repli sur soi que nous vivons chacun-e dans nos classes.

Les collègues des écoles sont actuellement épuisé-es, encore plus que d’habitude. Si chacun-e conçoit qu’il est essentiel de laisser les écoles ouvertes, beaucoup s’interrogent légitimement sur les transformations de fond qu’impose cette crise dans notre façon de faire la classe, d’être à l’école.

Les témoignages se multiplient autour d’un certain malaise : Comment se projeter dans le temps avec nos élèves ? Qu’est-elle en train de devenir, cette école qui semble aller si mal ? Comment répondre aux questions de nos élèves face aux incohérences qu’eux-elles-mêmes relèvent ? Comment faire toujours mieux l’école avec toujours moins de moyens ? Que se passera-t-il en cas de fermetures des écoles ?

Pour SUD éducation 13, plus que jamais, un plan d’urgence pour l’école est nécessaire. Depuis plusieurs mois, les collègues ne ménagent pas leur implication pour que « tout cela tienne »… mais pour combien de temps encore ?

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